Horizon et casse-tête chinois

Publié le par Tanchovic

 

Luang Prabang, 21 juin 2008, 12869 kms pédalés.

Pendant ces cinq semaines passées en Chine, nous avons navigué dans l’incompréhension.
Encore une fois, nous ne parlons pas chinois, ils ne parlent pas anglais, nous n’avons aucun mot en commun et le langage des mains nest pas aisé non plus.

Et il en est de même pour l’actualité.
Nos sources d’informations occidentales sont remplacées ici par les bulletins chinois (ils ont une chaîne en anglais, CCTV9 mais pas d’accès aux chaînes internationales).
Et une propagande remplace l’autre.
De notre côté (occidental), toutes les informations relatives à la Chine sont négatives, la Chine est toujours montrée comme un “pays totalitaire et menaçant" (sauf en cas de contrats commerciaux, bien sûr) .
De l’autre côté, le Parti entretient son image en communiquant massivement sur ses chaînes télévisuelles
.

La télévision est d’ailleurs présente partout, dans les restaurants, les magasins, les bus, chez le garagiste, à la réception de l’hôtel et dans toutes les chambres, partout le poste de télé est allumé.
Les sitcom classiques, où les filles pleurent leur bien aimé, sont entrecoupées de spots de communication: le gouvernement est constamment valorisé, le rôle de l’armée est mis en avant dans le sauvetage des rescapés du tremblement de terre, les rescapés remercient le Parti pour son soutien, pour les vivres et les tentes distribuées, -puis s’enchaînent des publicités pour les avortements ou les opérations de chirurgie plastique-... et la sitcom reprend, la vendeuse mange des graines de tournesol, les passagers du bus en descendent, Pao reserre les boulons du camion dans son garage, le réceptionniste fume sa cigarette...c’est une autre réalité.  

Une sinologue tchèque rencontrée dans un hôtel nous expliquait que les jeunes Chinois ont appris de leurs parents à ne parler ni de religion, ni de politique -ça attire trop d’ennuis-, à ne critiquer ni le gouvernement ni les aînés -ça ne se fait pas non plus-; ce comportement irait à l’encontre des règles du confucianisme qui a pour objectif de maintenir la stabilité et la hiérarchie établie dans la société chinoise. Est-ce pour cette raison qu’ils lisent si peu les journaux (ou même jamais…), que les cybercafés ne sont remplis que de jeunes connectés sur des jeux en réseau, la cigarette fumante au coin des lèvres, et que dans la rue, ils passent leur journée à jouer, aux cartes ou au mahjong (le jeu national, sorte de dominos) ?

Parfois, ils nous paraissent être de grands enfants, ils aiment se divertir ils aiment faire la fête, rencontrer et recevoir, boire et manger et les Jeux olympiques sont pour eux l’occasion de rencontrer des étrangers, et de "partager cette joie avec le monde".

Alors ils ne comprennent pas pourquoi certains viennent leur gâcher la fête avec toutes ces histoires de “Tibétains et de Droits de l’Homme”. Toutes ces discussions semblent bien loin de leurs préoccupations du moment, presque hors sujet pour eux. Au fond ils ne veulent faire de mal à personne, ils ont cette joie presque naïve et enfantine, inconsciente des enjeux politiques. 

Nous n’avons hélas pas pu en parler beaucoup avec eux. Les très rares fois où nous avons pu échanger sur ces sujets en anglais, nous essayions de placer quelques questions sans vouloir les froisser mais ils répondaient toujours succintement ou à côté du sujet.
Nous repartons donc avec de nombreux points d’interrogation. 
 

De même, notre opinion sur les minorités restent le résultat de nos lectures (comme dans cet article de asia.com avec les Ouïgours dont voici un court extrait:

 «Les Chinois nous donnent du pain, mais ils nous volent notre âme. Ils ont asséché nos racines».
Rien de tel à l'université d'Urumqi, fraîchement rénovée. «Nous sommes tous Chinois, il faut assimiler nos cultures», s'exclame gentiment un jeune Han, étudiant en mathématiques, attablé avec deux copains devant un poulet aux cacahuètes, au restaurant universitaire. «C'est la loi universelle, les plus forts gagnent», ajoute le deuxième.

Ils n'ont pas d'amis Ouïgours, et n'en connaissent d'ailleurs aucun, mais il n'ont rien contre «cette minorité» : «On leur apporte le développement économique. Sans les Han, comment feraient-ils pour avoir des ordinateurs et des téléphones portables ?»”.

Ou dans cet extrait de Wikipédia :

“L'existence de deux visions différentes de la société est une autre source d'incompréhension entre les deux communautés (Tibétaines et Hans).

Elle apparaît dans ce témoignage d'étudiantes tibétaines mettant en avant la liberté religieuse, recueilli lors des émeutes de mars 2008 : “ Ils nous enseignent comment devenir riche, pour eux le business est ce qu'il y a de plus important. Mais pour nous le plus important c'est la religion. Ce n'est pas dans notre mentalité d'être riche, parce que cela veut dire qu'on prend trop d'argent aux autres, et dans notre culture, les autres sont plus importants que soi-même. Les Tibétains sont certes contents d'avoir de meilleurs vêtements, mais la chose vraiment importante est la religion. On ne veut pas être riches, on veut être libres” »”.)

 

Certes, lorsqu’on pose la question des relations interethniques, on nous répond toujours que Chinois Han et minorités nationales (les Yi, les Naxi, les Bai) s’entendent parfaitement et que des lois specifiques existent pour les minorites... 



Nous restons bien conscients de la fragilité et de l’étroitesse de notre point de vue, la complexité d’un si grand pays nécessite beaucoup plus que cinq semaines pour approcher d’un début de compréhension, de plus nous connaissons mal leur histoire et nous ne parlons pas leur langue.

 Alors ce qui nous reste surtout de nos échanges de ces dernières semaines, ce sont les sourires des gens au bord de la route. 

Un bang à cigarette, je précise.

Les Chinois sont plus timides que les Indiens ou les Népalais. Souvent, ils feignent ne même pas nous voir, alors nous prenons l’initiative du “bonjour” et dès qu’on lance un “Nihao!” ou “Hello!”, leurs visages s’éclairent et les “Nihao!”, les “Hellos!” et les fous rires fusent et se répandent à tout le groupe devant lequel nous passons.



Dans les cols, lorsqu’ils nous doublent en voiture, on les voit souvent sortir la tête en hurlant “hello!” et en nous encourageant.

Comme cette grand-mère, le visage strié de belles rides qui nous voyant peiner dans une montée, lève le pouce en nous adressant quelques mots dans un grand éclat de rire clair et gai.

On est aussi imprégnés de toutes ces rencontres et ces invitations.

On repense à Gang, ce policier Naxi (c’est pas un nom ça Gang pour un policier!!!), rencontré à Lijiang et qui nous écrit ensuite dans un mail:

"Our come acrossing in that day made me so happy. We were born in different countries, but I believe we love some same things: The trees, The air, The rivers, and The blue sky. I think that's why we can make friends".
[Notre rencontre de ce jour m’a beaucoup réjouie, nous sommes nés dans des pays différents, mais je crois que nous aimons les mêmes choses, les arbres, l’air, les rivières et le ciel bleu. Je pense que c‘est pour cela que nous pouvons être amis].

De leur côté, les enfants sont souvent très intimidés. Plus d’un est parti en courant, les larmes aux yeux, dans les jupons de sa mère, effrayé de nous voir approcher.




Les plus agês (environ huit ans) osent nous dire “hello!” en se cachant ensuite derrière le dos de leurs copains. Si nous répondons "hello!", on les voit alors sursauter comme si leur peluche ou leur poupée venaient de leur répondre, ils ont les yeux tout écarquillés qui font des accents circonflexes et n’en reveniennent pas. 

La Chine, ce fut aussi des cols éprouvants et les journées les plus rudes physiquement depuis le début du voyage.
Mais après ces longs efforts “d’ascension” (3200m, c’est pas non plus le toit du monde), nous avons le plaisir d’admirer de superbes paysages et la joie de la descente où l’on peut se laisser emporter par la pente douce sans freiner.






















Dans ces descentes, la sueur sèche en nous faisant agréablement frissonner et le vent humidifie nos yeux grands ouverts, aux coins desquels s’étire une larme, c’est la vitesse…
Le vélo roule tout seul, on se laisse bercer par le bruit du ronronnement apaisant des pneus sur l’asphalte, la brume découvre lentement le sommet des montagnes verdoyantes, bosselées comme le dos d’un chameau.

Nous filons dans ces paysages, le coeur léger, et on pense aux oiseaux migrateurs en se demandant s’ils ressentent la même chose lorsqu’ils s’envolent au delà des cîmes guidés par leur instinct vers un horizon inconnu.



Nous sommes parvenus à la frontière le dernier jour de notre visa, aprés dix jours de pédalage acharné, nous sommes maintenant au Laos, à Luangprabang, où nous prenons deux jours pour nous reposer, ça commençait à tirer dans les poignées, les coudes, les genoux et les cuisses.
La chaleur et l'humidité sont terribles, heureusement, il pleut régulièrement dans la journée.

Dans ces moments-là, nous levons les bras au ciel pour profiter de ce trop court rafraichissement.
Après Luangprabang, nous continuerons sur 400km vers la capitale Vientiane, encore quelques cols au programme (on pédale maintenant entre 300 et 1500m d'altitude).
Ensuite, il nous restera 700km, beaucoup plus plats, pour atteindre Bangkok où nous devrions arriver vers la mi-juillet.

 Christophe et Estelle

 

PS1 Si vous voulez entendre des chinois en résistance et d’autres en opulence, vous pouvez écouter les  émissions de D. Mermet sur “la Chine, un éléphant qui fait du vélo” (pour passer les messages du répondeur et aller directement au reportage écoutez à partir de la vingt-cinquième minute):

http://www.la-bas.org/recherche.php3?recherche=la+chine+un+elephant

PS2 Pour voir plus de photos sur la Chine, vous pouvez cliquer sur l'album Chine, à gauche.

 

Luang Prabang, 21 juin 2008, 12869 kms pédalés.

Publié dans Chine

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A
Le gang de Naxi… Pas mal comme titre pour un bon polar, chinois ou pas d'ailleurs… En attendant le roman, on est bien content d'avoir de vos nouvelles… Je ne vous engage pas trop à revenir trop vite mes p'tits bouviers… Ici, ça pue de plus en plus… Il fait voir comme on nous parle… De la morque et de la mort plein la bouche… Pouah !!! Je me lave pour mieux vous embrasser, ciao…
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A
Encore une fois bravo pour ce blog qui fait rêver et réfléchir... Balaise!
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C
Bouh que le temps passe vite ces dernières semaines. Vous êtes toujours mes héros!!!<br /> <br /> Allez-vous revenir un jour? <br /> Pour info, j'ai crée un compte facebook avec photos des enfants, y'a plus qu'à. <br /> Bises<br /> carine qui ferait bien un petit tour de bicloune
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M
Salut à vous,<br /> Ah la Chine et ses mystères... Quelle expérience de l'humilité que d'être placé en situation de complet analphabète, non?<br /> Merci pour vos images, vos commentaires, la fenêtre que vous ouvrez sur le monde est précieuse en ces temps difficiles où l'Europe se replie sur elle-même!<br /> A bientôt et courage pour les derniers kilomètres, le graal est proche!
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C
Salut Christophe,<br /> Je viens de découvrir ton projet, et je voulais te féliciter.<br /> Je ne sais pas si tu te souviens de moi, nous étions ensemble à Strasbourg. Je vis au Cambodge maintenant, si quelques coups de pédales te disent, fais un tour par ici.<br /> <br /> Bon Courage<br /> <br /> Cédric
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